Qu’est-ce que ça fait une rédactrice technique ?
Quand on me demande : « Qu’est-ce que tu fais comme travail ? », je réponds : « Je suis rédactrice technique; j’écris des manuels d’instruction. » J’ajoute toujours la deuxième partie, car arrêter à « rédactrice technique » ne constitue pas, en général, une information pertinente. Alors que « écrire des manuels d’instruction », ça, ça parle. Presque 100 % du temps, ça entame une discussion. Les gens se demandent comment je fais pour savoir quoi écrire.
Je leur réponds que le principe général est assez simple : Je demande aux créateurs du produit de me montrer comment ça fonctionne, et puis je mets tout ça par écrit, avec des images, pour que d’autres personnes puissent se servir du produit à leur tour.
Dans les faits, c’est un peu plus complexe que ça. Il y a beaucoup de choses qu’un rédacteur doit savoir faire.
Enquêter
Un bon rédacteur est un enquêteur. Il y a un travail de recherche à faire sur le produit à documenter et sur les gens qui s’en serviront. Il faut établir pourquoi le produit a été conçu, quels vides il vient combler. Il faut trouver comment les utilisateurs vont s’en servir et ce qu’ils doivent savoir pour être le plus efficaces possible. Il faut aussi comprendre dans quel environnement les gens vont se servir du produit. Toutes ces informations détermineront la façon de présenter l’information et le support à utiliser.
L’environnement de travail détermine le format du document. Prenons le cas d’une personne qui doit effectuer des tests dans un laboratoire équipé d’ordinateurs. Dans ce cas, les instructions en format électronique sont tout à fait envisageables. Par contre, s’il s’agit d’un environnement de production en usine où il y a peu d’espace, un imprimé en format de poche sera plus indiqué. J’ai même vu une demande de document qui nécessitait des cartes plastifiées, car l’espace de travail était très salissant.
Le contenu aussi déterminera le format. Si les instructions s’accompagnent de plans, il faudra voir s’il est possible d’imprimer le document dans un très grand format pliable. Inversement, le format déterminera comment le contenu sera écrit pour aider à la compréhension. La façon d’écrire pour expliquer comment monter un appareil à l’aide de plans n’est pas la même que celle d’écrire comment effectuer des opérations dans un logiciel à l’aide de saisies d’écran.
Faire preuve d’empathie
Quand on écrit, on ne le fait pas pour soi. On le fait pour la personne qui aura besoin de cette information. Plus on se met à sa place, plus on a de chance de bien lui expliquer ce qu’il faut faire et comment le faire. Quand je pose des questions à mon « chargé de projet », ma personne-ressource, celle qui m’a été attitrée pour répondre à mes questions, je parle toujours au « je ».
Par exemple, j’essayais d’expliquer comment nettoyer un filtre à air, et je voulais savoir comment le démonter de l’assemblage pour le nettoyer. Mon chargé de projet m’a dit : « T’as pas à le démonter, on en a plein à côté. T’as juste à prendre ceux-là pour la photo. » Je lui ai dit que je devais quand même savoir comment faire… au cas où j’irais travailler là-bas la semaine prochaine. Pour lui, le démontage et le nettoyage étaient deux choses séparées.
Il faut aussi faire preuve d’empathie envers le fabricant, notre employeur. La meilleure option pour produire le manuel n’est pas toujours la plus rentable. Il faut savoir faire la part des choses et trouver le meilleur compromis.
Suivre les règles
Je ne parle pas seulement des règles de grammaire et d’orthographe. Je parle des règles de rédaction.
Il y a des règles spécifiques à la documentation de produits matériels et spécifiques à la documentation de logiciels. C’est très important de les suivre. Nos lecteurs ne nous lisent pas pour être surpris, décontenancés ou divertis; nous n’écrivons pas des romans policiers. À tout moment, notre lecteur doit se sentir en confiance et en terrain connu. Le meilleur moyen d’y arriver est d’être logique et pareil comme les autres. Par les autres, je veux dire les autres documents de la compagnie et aussi ceux des compétiteurs ou de produits similaires ou complémentaires. Il est presque certain que notre lecteur n’en est pas à son premier manuel.
Les règles, quelles qu’elles soient, sont capitales. Nous ne savons jamais quel est le niveau de connaissance de notre lecteur. Nous ne savons pas non plus par quelle section du document il va commencer. Un manuel ne se lit pas d’un couvert à l’autre comme un roman. Il faut donc s’assurer que chaque section se tienne toute seule, et que notre lecteur n’ait pas à lire tout le manuel pour accomplir une tâche en particulier. Donc, « oui », répétez-vous ! Lorsque c’est assez court bien entendu. Lorsque l’on s’aperçoit qu’une procédure est plutôt longue, il faut se demander si cette information ne constitue pas une section à elle seule, quitte à y référer au besoin.
Ne présumer de rien
Il ne faut pas présumer qu’on sait. Il n’y a pas de questions stupides. Même quand je suis à peu près certaine de la réponse, je pose quand même la question. Un bon rédacteur n’a pas peur de ne pas savoir; c’est son travail de ne pas savoir. Un ami m’a dit une fois : « do not “assume”, because when you do, you make an ass of u and me. » On ne veut pas faire ça !
Savoir utiliser un tas d’outils
Plusieurs outils sont nécessaires au rédacteur technique. Il y a bien entendu les logiciels de traitement de texte. Il y en a plusieurs. Je n’élabore pas sur ce sujet, car j’ai déjà publié un article qui en parle (Pourquoi je préfère FrameMaker pour la rédaction technique ?).
Les ouvrages de référence sont indispensables pour s’assurer non seulement de la qualité des textes, mais aussi de leur constance (Ouvrages de référence pour la rédaction).
Il faut savoir faire de la photographie. Hein ? ! Oui, je vous assure que des notions de base sur la photographie vous seront très utiles. Lorsque vous devez documenter un produit qui doit être en fonctionnement pour illustrer votre propos, seules de bonnes photos complèteront vos explications. Savoir bien cadrer un sujet, et s’assurer qu’il n’y a pas de traineries, de distractions ou de choses nuisibles dans le cadre est très important. Il est toujours possible de retoucher des photos, mais cela demande beaucoup plus de travail. Cela dit, on doit tout de même savoir utiliser des logiciels de traitement d’images.
Nous devons savoir comment manipuler divers logiciels de visualisation (viewers) de fichiers CAO (conception assistée par ordinateur). Il arrive souvent que nous ayons besoin de produire nous-mêmes des vues 3D de produits pour indiquer où se trouvent les composantes dont nous traitons dans le manuel.
Pour les rédacteurs au sein d’une entreprise, il faut souvent connaître le système de gestion des pièces, car les instructions qui sont livrées avec les produits sont traitées comme les autres livrables.
Pour ceux que le métier de rédaction technique intéresserait
La rédaction technique est un métier incroyablement captivant. Le nombre de choses que j’apprends à faire, le nombre de métiers que j’apprends à comprendre, le nombre de vies que je côtoie m’apporte des connaissances que je ne pourrais obtenir autrement.
C’est un travail qui peut s’apprendre en mentorat, mais il existe des cursus universitaires, des manuels d’apprentissage et d’autres types de formations pour apprendre les exigences de la rédaction technique. Informez-vous auprès des universités et des centres de formation.
Un métier vieux comme le monde avec un bel avenir
La rédaction d’instructions, ça fait longtemps que ça existe parce que c’est très pratique. Avoir un expert en rédaction technique sous la main s’avère souvent très utile, voire indispensable.
À ceux qui disent que la rédaction technique est un mal nécessaire, je réponds qu’ils pourraient peut-être mettre tous les cahiers de charge, les dessins techniques et les photos, dans une boîte identifiée « Instructions », et puis la livrer à leurs clients en espérant pour le mieux.
Nous, on sait comment arranger le contenu de la boîte. La rédaction technique est une expertise nécessaire et rentable.